mardi 15 mars 2016

La miséricorde chez St Vincent de Paul
La miséricorde chez les musulmans


Nous étions environ 25 au Carmel de St Georges Motel ce samedi 12 mars 2016 pour une journée centrée sur la miséricorde.

Le matin

Notre curé, Raymond Hérisset, lazariste, nous a parlé de la miséricorde chez saint Vincent de Paul. Vincent a entendu la Parole :
J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ;
j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ;
j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ;

j’étais nu, et vous m’avez habillé ;
j’étais malade, et vous m’avez visité ;
j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi ! (Mt 25)

Il a vécu l'amour affectif et l'amour effectif, se laissant déranger (de sa prière…) par les pauvres en qui il voyait Jésus. Il a agit pour eux, à la fois pour les pauvres au plan corporel et les pauvres au plan spirituel. Il a su éviter le piège de l'enfermement dans les monastères en donnant aux filles de la charité un statut particulier. L'oraison ne suffit pas, il faut des actes.

Au lendemain du concile, on parlait d'amour, de résurrection, de bonté… de lendemains qui chantent… une encyclique de Jean-Paul 2 sur la miséricorde (Dives in misericordia, 1980) est passée inaperçue.
Avec François, l'Église reprend conscience du pardon de Dieu envers les pécheurs que nous sommes. Ce pardon va jusqu'à l'extrême en s'exprimant sur la croix, il nous redonne notre dignité.

Vincent a pris le chemin de la cléricature « par hasard » : elle était source de revenus à l'époque. Il a été esclave en Afrique du Nord. Il a expérimenté la miséricorde divine au travers d'une des femmes de son maître. Dans une période de doutes (1617), Dieu l'a éclairé. Il a reçu la miséricorde, et il l'a rayonnée.

Pour les pèlerins que nous sommes, les pauvres sont notre tâche et notre vie. Ils sont nos maîtres et seigneurs.

L'après-midi

Deux voix musulmanes : Nassira et Mohamed-Cherif Boukhalfa, venus de Seine Saint Denis avec leur fils qui a assisté à la journée, ont repris le même sujet. Ils font partie de la « première vague d'immigration » : leurs parents algériens sont arrivés en France quand ils avaient environ deux ans. Deux voix, mais un couple uni dans une foi profonde et intériorisée.
Ce sont les vagues d'immigration qui ont suivi, beaucoup plus extérieures et politiques, qui ont pris le pouvoir dans les institutions dites représentatives du culte musulman en France. Nous avons senti la souffrance de Nassira et Mohamed devant des frères qui semblent avoir oublié jusqu'aux premiers noms de Dieu : Ar-Rahmān et Ar-Rahīm : le plus miséricordieux. Nous avons perçu aussi leur engagement pour un Islam fidèle à ses vraies valeurs et pour le dialogue inter-religieux – Mohamed a suivi une formation en ce sens à l'Institut Catholique.

Quelles vraies valeurs ? Voici les trois degrés de la foi musulmane
Le degré de l’Islam ou de la shari’a (pratique) : Témoigner qu’il n’est pas de divinité que Dieu et que Muhammad est son envoyé et à observer les 5 piliers de l’Islam.
Le degré de la tariqa ou de la foi : La pratique nourrit l'expérience spirituelle.
Le degré de l'ihsan ou de la haqiqa (amour) : le saint accompli ou réalisé est celui qui s’est éteint à lui-même (fana), pour ne plus subsister que par Dieu (baqa).
C’est dans la totalité des trois degrés qui consiste la foi musulmane.

Différentes écoles réformistes, et surtout l’école qui a donné les salafistes, les frères musulmans…, mettent en exergue certains versets pour justifier leurs comportements pratiques, comme les témoins de Jéhovah. Cela peut aller jusqu'au mariage à durée limitée, voire d'un jour !

Le questionnement des musulmans face à l'insondable mystère de Dieu rejoint le nôtre. La miséricorde est un don de Dieu. Elle l'emporte sur sa colère. La tradition dit qu'il en a gardé 99 « doses » pour le jour du jugement. Sa miséricorde s'étendrait-elle à Satan ?
Quelques citations donnent le ton : L'acte ne vaut que par l'intention. Ceux qui croient font de bonnes œuvres. L'homme doit d'abord être miséricordieux envers lui-même. Juste après l'adoration de Dieu, vient la bienveillance envers ses vieux parents. La maladie est une forme de purification de l'âme. Amour et miséricorde sont le fondement de la famille.

Qui connaît les œuvres de miséricorde que la bulle du pape François cite au §15 ? 7 œuvres de miséricorde corporelles  : donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts. Et 7 œuvres de miséricorde spirituelles  : conseiller ceux qui sont dans le doute, enseigner les ignorants, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour les vivants et pour les morts. Ces œuvres nous sont communes.


Vint le temps des questions.
Comment s'articulent mérite (respect de la loi) et grâce ? Le péché est un acte de désobéissance à Dieu. Mais pour un saint, le péché est d'oublier Dieu.
Nos enfants (les enfants de milieux chrétiens aussi) ont besoin de repères (la loi, la morale), ils en manquent (ils trouvent n'importe quoi sur internet, leurs parents sont ignorants de la foi…). Nous percevons le souci de l'Islam d'encadrer et aider les plus faibles (les enfants, les débutants). « Aime et fais ce que tu voudras » n'est pas à la portée de tous. Juste équilibre entre la charia et l'éveil spirituel. A méditer avec ce que Paul dit de la loi dans l'épître aux Romains : nous avons été affranchis de la loi pour servir sous le régime de l'Esprit...

Comment le Coran s’interprète-t-il ? C'est du ressort des « savants » de le traduire en lois extérieures. Comment les jeunes vont-ils trouver les « bons » maîtres ? Un maître doit dire « je ne sais pas » quand il ne sait pas.

Le Coran est-il susceptible d'être compris à un niveau symbolique ? Oui, il est plein d'images, de paraboles.

Le Coran est-il bousculé, et comment, par des recherches historico-critiques ?
Les musulmans vivent-ils aussi « l'attention à l'instant présent » (l'éternité, c'est maintenant) qui se développe sous l'impulsion du bouddhisme et qui relativise les questions sur le « jugement dernier » ? Il nous faudrait d'autres rencontres pour aller plus loin.


Y a-t-il un équivalent du Saint Esprit pour les musulmans ? A la fin de la journée, Nassira, Mohamed et leur fils nous ont dit leur joie d'avoir non seulement partagé des idées (comme ce leur arrive dans d'autres lieux), mais d'avoir vécu une expérience de communion grâce aux temps de prière, à l'ambiance du lieu, à ce que rayonne la communauté du Carmel.
Nous avons touché cette réalité que nous sommes frères, que le même souffle nous anime. N'est-ce pas une plus belle réponse qu'une information savante ?